Le commerce du charbon de bois: que retenir ?

Le charbon de bois ou « akan » dans plusieurs langues nationales, est un combustible fortement utilisé dans les foyers pour faire la cuisine. Beaucoup de restaurants et gargotières l’utilisent aussi. Comment est-il produit et acheminé dans la capitale économique qui est le plus grand consommateur de ce combustible ? Une discussion de près d’une heure avec le sieur Denis nous a permis de comprendre un peu.

Agrobénin: Monsieur Dénis, vous êtes dans le commerce de charbon de bois depuis quand
Dénis: Cela fait déjà près de 15 ans que je suis dans le commerce du charbon de bois. Actuellement je ratisse beaucoup plus la zone des collines notamment Bantè et Savalou. Et je dispose de 03 camions de 15 tonnes pour ce commerce. Un camion de 15 tonnes prend  350-400 sacs de 50kg et au plus 200 sacs de 100kg.

Agrobénin: comment arrivez-vous à avoir ce charbon en si grande quantité ?
Dénis: Nous avançons de l’argent à des gens qui vont dans la brousse ou en forêt pour abattre des arbres afin d’en faire le charbon. Quand ils finissent, ils nous font signe et nous allons les voir pour payer le reste (fil pour coudre le sac, sac, chargeur, frais de propriétaire du domaine etc.). Acheter du charbon en grande quantité aux abords des voies tout le long de la route inter-états ne nous arrange pas. Cela n’est pas rentable.

Agrobénin: comment procédez-vous pour acheminer la production jusqu’à Cotonou ?
Dénis: A ce niveau, beaucoup de choses se passent et déjà nous tenons à saluer et remercier le gouvernement de Talon qui a déjà frappé fort. Pourquoi je dis cela ? Figurez-vous que pour un chargement de 15 tonnes, il y a un papier que nous prenons au trésor public et qui coûte 55.000 FCFA. Mais pour avoir ce papier, il faut d’abord le quitus de l’agent forestier. Ce quitus est appelé chez nous visa. En tout, il faut verser près de 300.000 FCFA à l’agent forestier pour un chargement de 15 tonnes avant d’avoir ce laissé passer du trésor public qui est déjà pré-disponible chez cet agent forestier. Faites la différence et vous verrez combien cet agent forestier empoche sur chaque chargement. Aussi nous payons à la mairie de la localité 25.000 FCFA toujours sur un chargement de 15 tonnes. Tous ces papiers apprêtés, nous pouvons donc prendre la route pour aller à Cotonou qui est notre plus grand marché de vente. Sur la route, à chaque poste de contrôle, l’agent forestier présent à droit à 02 sacs de charbon malgré que tous les papiers soient disponibles. N’oublions pas aussi les postes de contrôle de police où il faut donner 5.000fcfa par poste. Par conséquent pour un chargement depuis Bantè, nous avons les postes de police de : Bantè-Logozohè-Dassa-Kpanhouian-Bohicon-Zogbodomey-Massi-Akassato. Soit une dépense de 40.000 FCFA. Enfin arrivé à Akassato, pour le chargement qui doit se rendre à Akpakpa, nous versons 15.500 FCFA au syndicat que nous avons afin de nous conduire. Sinon avant le syndicat, n’importe quel policier qui te rencontrait dans la ville de Cotonou te prenait 5.000 FCFA. Pour un chargement de titan (le titan est le double d’un camion de 15 tonnes) avec lequel j’avais 800.000 FCFA en poche, il ne me restait que 35.000 FCFA quand j’étais arrivé chez mon client à Cotonou.

Agrobénin: en quoi la décision du nouveau gouvernement du président Athanase Talon est salutaire ?
Dénis: D’abord nous n’avons pas été contents quand le 1er conseil des ministres a suspendu toute activité d’exploitation de bois. Mais après, le gouvernement nous a autorisé l’activité. Ce qui nous réjouit est que le gouvernement a changé tous les directeurs et agents forestiers de leur poste au début de cette semaine. Et ce qui a conduit à ce remplacement est que le nouveau gouvernement demande à ce que nous-mêmes allons payer directement les frais du trésor public au trésor et non les verser aux agents forestiers. Ce que ces derniers n’ont pas accepté et cela a valu leur mutation. Or c’est eux qui nous grugent le plus. En moyenne, 20 camions et titans quittent Bantè et environs par jour sans compter ceux quittant Savè et le nord. Et faites au minimum 300.000f fois 20 et vous verrez combien un agent forestier empoche par jour. D’ailleurs, à peine on les voit sur le terrain. Ils ont plutôt des « klébés » (des aides) qu’ils payent. Le phénomène de rançonnement est devenu plus criard lors de ces dix dernières années où ces jeunes agents forestiers ont déjà construit en un temps record des immeubles mirobolants. Aussi la réduction des postes de police est salutaire. En somme cela permettra de réduire le prix du sac de charbon chez le consommateur.

Agrobénin: quel est votre cri de cœur à l’endroit de ce gouvernement ?
Dénis: Nous demandons au gouvernement du président Talon que nous avons choisi de toutes nos forces de ne pas baisser les bras afin d’assainir ce milieu où ces jeunes agents forestiers ne font que profiter et abuser de nous. Cela permettra aussi au consommateur d’avoir le charbon à cout réduit. Et que l’université et l’Etat nous trouvent des substituts au charbon dans lesquels nous pouvons aussi nous investir. On nous parle souvent du gaz mais vous oubliez que le gaz reste toujours cher. En tout cas à mes yeux, je ne me vois pas acheter le gaz pour mon foyer où la bouteille de 06kg est à 3500 FCFA et cela finit très vite. On se demande même si la bouteille est vraiment bien remplie.

Agrobénin: ne voyez-vous pas que la destruction des arbres favorise le réchauffement climatique et la déforestation ?
Dénis: Nous sommes conscients que les forêts disparaissent de plus en plus encore que nous sommes de plus en plus nombreux dans ce secteur. Mais cela n’est pas dû à nous seuls. Vous semblez oublier par exemple les chinois qui ont de gros moyens et exportent tous les bois chez eux. Aussi tant que la demande serait là, nous nous serons disponibles à la couvrir. Je viens de vous dire que ça fait déjà près de 15 ans que je fais cela et j’ai deux femmes et enfants que je nourris. Tout ce que je demande est que le secteur soit mieux régulé et encadré pour le bonheur de tous. En somme que chacun fasse son travail : l’agent forestier, l’Etat et la mairie.

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